Comme chaque année, le 8 mars nous célébrons la journée internationale des droits des femmes. À cette occasion, nous vous proposons de découvrir le portrait d’une Femme chez Deafi !
Rencontrez, Emilie Le Louarn, interprète en Langue des Signes Française qui partage en trois questions-réponses son expérience, interpelle sur les enjeux et défis qui doivent encore être relevés par la société et évoque les freins rencontrés. Son parcours est rempli d’expériences variées qui a toujours été suivie par la langue des signes française.
Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
Après l’obtention d’un Bac Littéraire, et une année de classe préparatoire aux grandes écoles, j’étais en questionnement au sujet de mon orientation. J’ai décidé de m’orienter en Langue Etrangères Appliquée (LEA) et nous avions alors l’opportunité d’avoir des cours de langue des signes française. L’expérimentation de cette possibilité en LEA fut pour moi une aubaine, une découverte et, sans vouloir exagérer, une révélation. Ensuite, j’ai opté pour une voie professionnelle en intervention sociale à Montpellier. C’est durant cette année de formation et tout particulièrement lors de ce stage en immersion dans la communauté sourde que j’ai pu approfondir sur place ma connaissance de la culture sourde, des combats menés par la communauté sourde, de leur histoire, de leur humour « Pi Sourd », ainsi que le Chansigne.
Une fois ma licence validée, je suis rentrée en Bretagne où, forte d’une pratique sportive assidue, j’ai passé le Brevet National de Sauvetage Aquatique, le Service d’Incendie et de Secours de mon département. Je décide en 2010 de partir une année à l’étranger, en Finlande, dans le cadre d’un SVE (Service Volontaire Européen). Je suis restée une année à travailler au sein d’une Ecole Spécialisée pour enfants et adolescents handicapés mentaux et/ou moteurs. Ce fut une année extrêmement riche en rencontres, en apprentissages, en découvertes. De retour en France, je passe le diplôme de maître-nageuse et ce sera dès lors mon métier de 2013 à 2021.
Toutes ces années, la LSF a été présente en fil rouge dans ma vie personnelle et professionnelle. J’ai toujours voulu tisser des contacts au sein de la communauté sourde. J’ai continué de me former à la LSF, au sein des centres de formation Visuel. De certification en certification, étape après étape, j’ai obtenu le niveau B2 en LSF. Ce niveau m’a permis de postuler au DU « Préparation aux métiers de la communication entre sourds et entendants ». Durant cette année, j’ai postulé à l’IVT à Paris, qui m’a recrutée en tant que personnel d’accueil. Les tâches y étaient variées, cela couvrait à peu près tout ce qui peut concerner l’accueil du public. A l’issu du DU, et des concours d’admission en Master, j’ai enchainé mes deux années M1 ; M2 « interprétation français-langue des signes française, LSF-français ». Et me voilà aujourd’hui chez Deafi ! Le fil rouge demeure.
À votre avis, quel sont les défis qui doivent encore être relevés dans la société (à titre personnel ou professionnel) pour la rendre plus accessibles aux personnes sourdes et malentendantes ?
À mon sens, les défis sont multiples. L’évolution technologique a certes changé la donne en termes d’accessibilité, puisqu’en effet, désormais, les personnes sourdes peuvent utiliser la visioconférence, et les canaux ne semblent plus manquer ! Cette possibilité, de pouvoir désormais passer ses appels est vécue comme une réelle conquête par beaucoup de personnes sourdes et malentendantes. Encore faudrait-il, pour une véritable égalité citoyenne que cette possibilité pour les personnes sourdes et malentendantes d’appeler soit perçue comme une « évidence » banale, et non comme une victoire.
Aujourd’hui encore, dans nos quotidiens d’interprète langue des signes française, nous sommes amenées à sensibiliser les non-initiés à la visio-interprétation. Par ailleurs, en termes de défis, de nombreux aspects de la vie citoyenne sont à améliorer : notamment l’accès à l’éducation, la formation et la santé.
En tant que femme, des différences entre les hommes et les femmes en termes d’accessibilité ?
Si on interroge certaines femmes sourdes au sujet des difficultés quotidiennes qu’elles rencontrent, nombre d’entre elles vous racontent combien elles doivent se battre, mobiliser toutes leurs forces pour des évènements du quotidien qui nous semblent, à nous, entendantes, triviaux : obtenir un rendez-vous professionnel, une augmentation, faire valoir leurs droits, obtenir le droit de pouvoir comprendre et être comprises au cours de démarches administratives, ce qui va du simple rendez-vous à la CAF, en passant par la CPAM, l’agence bancaire…
Une pièce de théâtre de Cécile Ladjali « Sedruos » répond très bien à la question d’être femme et être sourde : c’est une double identité et un double défi. J’oserais personnellement transposer cette question à la lumière de l’essai philosophique de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, dans lequel elle nous dit : « on ne naît pas femme, on le devient ». De la même façon qu’on ne naît pas femme, on le devient, on ne naît pas Sourde avec un « S » majuscule, on le devient. Cette double inégalité est présente au sein de notre société, une première inégalité des sexes, et une seconde inégalité entre sourds et entendants. Il faut en être toutes conscientes, femmes sourdes comme femmes entendantes, nous ne pouvons prendre le risque de nous reposer sur quelques acquis bien fragiles, car tant reste à faire en termes d’accessibilité et d’inégalité dans notre société actuelle.
Manon Bourretere – Assistante communication digitale
Étudiante en Master 2 Manager de projets innovants, Manon Bourretere est en alternance au sein de Deafi en tant qu’assistante communication digitale. Elle s’occupe principalement du blog, des réseaux sociaux, et du comité de rédaction.